mercredi 29 avril 2020

J44 - Fenêtre sur cour

Affiches, posters et images de Fenêtre sur cour (1954) - SensCritique
Vue de ma chambre à coucher.

J'ai toujours préféré aux voisines mes voisins. Surtout mes voisins étudiants. Ils réveillent en moi la femme cougar sensible à l'esthétisme.

Avec le confinement, le pâté de maisons, hébergeant un consortium d'éphèbes vigoureux, bruns et ténébreux (j'imagine), a cessé d'allumer ses lampes à huile à la nuit tombée. Ils se sont tous cassés, ces morveux. Heureusement qu'il y a mes gosses pour mettre l'ambiance jeunesse. 

Mon préféré était un charmant garçon aimant petit-déjeuner de tartines trempées dans son grand crème, le torse nu et imberbe, devant la fenêtre de mon dortoir. En hiver, la lumière artificielle, obligatoire à sept heures, me permettait de distinguer le moindre de ses muscles comme sur une statue de marbre. Le petit ange... Je me cachais vingt-cinq secondes derrière le store pour perdre vingt-cinq ans. Cette vision d'une oeuvre d'art digne des plus grands sculpteurs m'émouvait et égayait ma matinée.

J'ai été étonnée de constater que tout avait été laissé en plan chez celui-ci : le tiroir ouvert sur les pots de confitures, la table à manger pas débarrassée. On eût dit qu'il avait fui précipitamment. C'était pas son genre de ne pas être à l'heure à notre rendez-vous à sens unique. J'étais inquiète. Puis je le trouvais un peu lâche quand même aussi, Bob... (Appelons-le Bob.)
Je scrutais par la vitre, machinalement, légèrement affectée. Et s'il me préparait une blague, genre "Coucou la voilà !" ?

Il me manquait. Sans en connaître aucun, ils me manquaient tous d'ailleurs. (Parce qu'ils font jamais de bruit, je crois qu'ils mettent des patins pour marcher chez eux.) J'avais angoissé, que confinés, il leur prenne la subite lubie d'apprendre la cornemuse ou le violon (je priais pour qu'ils écoutent plutôt du Jul) et ils étaient partis, me laissant ainsi que ma famille avec des pigeons pour seul voisinage. Ah oui, et une chatte en chaleur aussi insupportable qu'une mouche près de ton oreille quand tu pionces... En plus, à moi qui ne suis que pureté, elle va finir par me donner des idées salaces, cette chienne !

Mais dimanche, j'allais faire mon pipi du soir quand je devinai la vie dans l'appartement éclairé de Bob. Bob était revenu ! Est-ce que j'appelais la milice police pour signaler son changement de lieu de confinement en bonne citoyenne ? Tout à ma joie, je fus faible et raccrochai le combiné.
Pourquoi était-il réapparu ? Était-ce parce qu'il s'ennuyait de moi ? M'observait-t-il, lui derrière son pain beurré et moi, tapie derrière mes stores à lamelles ? Ne pouvait-il plus se passer de mon regard furtif ?

J'ai analysé son environnement. C'est toujours le bordel. Bob n'a rien rangé. Tout paraît identique à son départ. Néanmoins au fond de la pièce trône désormais une paire de béquilles qui fournit un début d'explication à ce mystère, prêt à survolter mon âme de Commissaire Maigret (le vrai, celui avec Bruno Kramer).

Je m'interroge. Dois-je, vu qu'on a parlé d'une solidarité nécessaire entre voisins, aller lui proposer mon aide ? 
Seulement où habite Bob précisément, hormis au troisième étage, face à ma chambre ? Dans quelle rue et à quel numéro ? (L'encastrement des immeubles est surréaliste ici...)


Que racontes-tu ? Y a une vieille impotente dans le quartier dont je pourrais m'occu... Allô ? Allô ? Je t'entends plus, lecteur, je passe sous un tunnel ! Recontacte-moi dans six mois, j'ai une énigme de la plus haute importance à résoudre.