vendredi 17 avril 2020

J32 - Mon premier Rohmer

Cinéma "Ma nuit chez Maud" - cinema - CultureSecrets
"Tu te confines avec moi ?
Si tu veux, je pourrai te lancer des vacheries jusqu'à deux heures du mat'."

Le soir, d'ordinaire, je lis. Parfaitement, tous les soirs. On n'a pas de télé. Tu te trouves chez un prof ici, paie ton cliché.
Mais là, c'est le confinement, je te rappelle, au cas où tu l'aurais oublié.
Je fais rien comme d'hab. "Je tournerai une page quand on aura tourné la page", c'est mon mantra.

Alors, pour me nourrir lors de ces belles soirées de printemps où je suis si heureuse de me poser enfin chez moi après avoir zoné toute la journée dans mon intérieur, je regarde un reportage ou un film en famille.
On a une DVDthèque assez éclectique : de MacBeth d'Orson Welles (au hasard pour L'Homme) à 300 (pour moi pour les enfants, ces  mini butors qui kiffent les hommes à poil, tout en muscles glabres avec des glaives, mmmm), en passant par des Jacques Demy (pour moi, moi, moi). 
Mais comme je suis spoliée niveau choix du chef-d'oeuvre, je vois jamais Le roi Scorpion La momie Le choc des titans Les parapluies de Cherbourg. Je mate en avant-première le nouvel Abel Gance. Les mômes sont ravis au lit aussi.

Depuis quelques jours, on fait DVD à part avec les enfants, histoire de respirer un brin.
Eux vont dans la chambre de la Petite où ils ont décidé tous les trois de se confiner la nuit, on leur prête l'ordi portable et pro du père (écran 16 cm x 16 cm), c'est la fête, et à nous le salon ! A nous le salon, t'entends ?! Le salon pour nous tout seuls ! Le salon pour lui, le salon pour moi ! Le salon, le salon, le salon, tralalalalalala ! Tous en chœur : le saloooooooon pour nous !!!
Oui, merci chéri, j'ai pris mes gouttes.


Mardi, M. le mari, harassé après un après-midi Mako moulages, me dit en cliquant sur Arte.tv (c'était ça ou le site de la cinémathèque. J'aurai jamais mon replay de Joséphine, ange gardien...) :

- Chérie, on se fait un Rohmer ?

La proposition était franchement osée. J'étais presque choquée. Lui qu'avait pas voulu que je fasse un moulage de sa noble anatomie à 15 h 30 ...
Faut que je t'avoue, on n'a aucun Rohmer. On a juste un film savoureux (je te le conseille vivement) sur Rohmer, Maestro, avec Michael Lonsdale et Pio Marmaï où tu te dis que malgré toutes les rumeurs, Rohmer il devait être poilant. Maestro, il te donne envie de commander fissa le coffret intégral vingt-six DVD du fameux réalisateur. Après attention, c'est dur de le refiler sur Leboncoin...

- C'est quoi ? je lui ai balancé, style "j'm'y connais moi !"
- Ma nuit chez Maud, avec Jean-Louis Trin-ti-gnant. (Il a bien appuyé sur le Trintignant, comme tu le constates.)

Me vendre du JLT. Si c'était pas petit, ça !
La voix de JLT, le sourire de JLT. T'aurais résisté, toi ?
En revanche, je te le dis tout de suite, dans Ma nuit chez Maud, JLT, il a une coupe capillaire de confinement...

- Oh ben ouais tiens, pourquoi pas... je lui ai répondu hypocritement.

Ainsi j'ai été embarquée à visionner le premier (et tout dernier ?) Rohmer de ma vie.
Rohmer, c'est bien. Quand t'aimes.
Je te fais le résumé de Ma nuit chez Maud.

JLT est un ouvrier ingénieur catholique chez Michelin à Clermont-Ferrand où il a l'air de faire un bon temps de merde fin décembre mais où les troquets à la Café de Flore - la province est si belle quand elle ressemble à Paname -  sont ouverts. (Il y a une époque lointaine où on pouvait s'abreuver dans des bistrots, je sais pas si tu te souviens.) JLT quand il déjeune pas avec ses collègues sélects à la cantoche de Michelin, il aime bien faire des tours en bagnole pour te faire gerber pendant le film et  se faire des Soduku probabilités mathématiques. Il vit seul et sa marotte, c'est la branlette intellectuelle ou aller à la messe (t'inquiète si les églises sont fermées le dimanche, avec Ma nuit chez Maud, t'as l'eucharistie en direct). Il tripe sur une blondinette qu'il voudrait épouser aka Marie-Christine Barrault.
Un mec fun, quoi.
Peu avant Noël donc, il rencontre dans un café (Il y a une époque lointaine où on pouvait s'abreuver dans des bistrots, pour mémoire.), par pure coïncidence - ce qui suscite chez lui le besoin de calculer les probabilités de ces retrouvailles - une vieille amitié datant du lycée.
Comme les deux compères ne se sont pas vus depuis quinze ans, ils ont tout de suite envie d'échanger sur Blaise Pascal. Moi aussi, c'est ce que j'aurais fait.
Après ces joutes philosophiques, son pote qui est du reste mécano dans un garage prof de philo dans un lycée de banlieue à la fac, l'invite à passer avec lui Noël (toujours) chez une amie divorcée, caissière à Prisunic médecin.
JLT il hésite, il hésite. Puis il dit oui.
Chez la gonzesse, Maud (Françoise Fabian), c'est la bonne prise de tête : la baisse du pouvoir d'achat tout ça retour sur Blaise Pascal et le jansénisme.
Ah on s'éclate le 25 décembre, je te dis pas !
Conspiration du poto et de Maud. JLT doit rester dormir chez la fille qui tente de le séduire en le cassant façon Brice de Nice sauce bourgeoisie, dans la chemise de nuit de la grand-mère du Petit Chaperon rouge. Lui reste maître de lui-même, il refuse les avances masquées sous des tirades où t'as intérêt à avoir avalé cinquante Guronsan avant. La meuf, dont le pieu trône dans sa salle à manger comme celui d'un étudiant fauché, est tellement chiante, qu'à la place de JLT je l'aurais assommée avec la bouteille de beaujolais nouveau Chanturgue restée sur la table au lieu de lui apporter un briquet / un verre d'eau (/ une mandale ?) tel un larbin dans un Sacha Guitry.
Au bout de trois heures - t'as un peu loupé du film parce que t'es allé te chercher trois tasses de café noir, six Doliprane et repris du Guronsan - JLT pionce tout habillé aux côté de Maud qui a ôté son habit de nuit entre-temps. Tous deux se réveillent et là, t'assistes à la scène la plus torride qui soit : JLT se rue sur Maud pour l'embrasser sur la joue. Mais amoureux de sa godiche blonde, il repousse la relou violemment. Au même instant, "C'est oui ou bien c'est non ?!" chantonne Angèle sur le tourne-disques.
Bon voilà.
On en est aux trois quarts.
C'est pas fini.
Cependant c'est un résumé. Alors résumons.
JLT se décide à draguer et épouser la prude blondinette qui n'était pas si blanchotte car t'apprends (enfin Rohmer fait mine de t'apprendre après tant de péripéties palpitantes) que oh, la grenouille de bénitier, n'était autre que la maîtresse de l'ex-mari de Maud !
La boucle est bouclée.
On s'est bien amusés. (Même l'Homme qui s'est endormi sournoisement.)